Jean François Joseph Triponé : siège de Belfort en 1813

Jean François Joseph Triponé : TÉMOIN

Le hasard des recherches a permis de trouver ce document, publié en 1975 par la revue Alsacienne. Notre ancêtre est un témoin direct du siège de Belfort en 1813 ou il est notaire. Son fils Adoplhe Innocent, nôtre ancêtre direct, est né pendant ce siège.

Chronique d’un siège

« Faits mémorables du blocus et du siège de Belfort du 24 décembre 1813 au 16 avril 1814 » publié dans la Revue Alsacienne, année 1975.

L’ennemi pointe à l’horizon fin 1813, il ne fait plus de doute pour personne que Belfort va être investi à bref délai. Que faire dans le court laps de temps qui reste ? Quitter la ville ? Se calfeutrer chez soi et attendre ? Notre témoin du jour est un Belfortain, François Joseph Triponé, notaire, conseiller général et futur maire de Belfort.

FIN DÉCEMBRE 1813, le premier Empire agonise.

L’ennemi, massé aux frontière se prépare à déferler sur la France. Le commandant Legrand, chargé de la défense de Belfort, est pris au dépourvu. Il dispose d’une maigre garnison et de subsistances notoirement insuffisantes pour la nourrir durant plusieurs semaines. L’artillerie par contre semble suffisante, mais ironie du sort, il manque des canonniers pour servir les pièces. Au sein de la population l’inquiétude est grande. Il y a largement plus d’un siècle et demi que Belfort n’a pas connu de siège, aussi personne ne dispose de références. Que faire dans ce cas ? Quelle attitude adopter ? François Joseph Triponé, qui possède la plus importante étude notariale de la place pas n’hésite pas : il restera, même si sa femme doit accoucher dans peu de temps.

Les portes sont fermées toute la journée

S’il décide de ne pas quitter la ville, François Joseph Triponé n’en prend pas moins un certain nombre de précautions. Son étude est prospère et il possède des biens dont il ne veut pas se laisser dépouiller au cas où l’ennemi s’emparerait de Belfort, c’est pourquoi, dans les quelques heures dont il dispose, il s’active beaucoup. Le journal qu’il a tenu dès le début du siège nous renseigne à ce propos : « 22 décembre 1913 – Vers 1 heure du matin on a été informé que l’ennemi avait passé le Rhin sur le pont de Bâle et qu’une colonne arriverait ici incessamment (…) Beaucoup de familles ont quitté la ville et les faubourgs. J’ai remis au courrier Moqueris une caisse d’argenterie et un paquet de mes titres et papiers personnels à l’adresse de ma cousine, à la Visitation à Troyes. 23 décembre – Les renseignements de la veille sont confirmés. L’alarme est à son comble. Les portes sont fermées toute la journée. Il part encore beaucoup d’habitants. » La fermeture continue des portes est le signe que l’ennemi est proche. Où est-il ? Quel aspect a-t-il ? Il y a si longtemps que Belfort n’a pas connu de guerre que l’ennemi, on ne sait plus trop ce que c’est, surtout parmi les plus jeunes qui n’ont pas connu les incessants passages de troupes et de blessés durant les guerres révolutionnaires ? D’où la mésaventure connue par le fils du notaire : « Mon fils Florentin et Michel Beaume, mon clerc, poussés par une discrète curiosité vont se promener à Pérouse pour voir les ennemis ; ne les apercevant pas encore, ils dépassent le village et s’approchent de Chèvremont. Ils sont bientôt arrêtés par les coureurs qui les conduisent devant les officiers à Chèvremont. De là, ils sont traduits devant plusieurs généraux à Bessoncourt, interrogés et renvoyés sous l’escorte d’un cavalier, jusqu’aux avant-postes français. Partis dès le matin, ils n’ont été de retour qu’après-midi à 1 heure (… )» Cette fois l’ennemi est là et bien là, à quelques encablures de Belfort, et ses officiers sont apparemment gens fort courtois et de bonnes manières. Les premières escarmouches ne sauraient tarder. C’est effectivement ce qui se produit le 24 décembre 1813, veille de Noël.

Ma femme est accouchée à 7 heures du soir d’un enfant mâle

Vers 2 h de l’après-midi, les bouches à feu du château tirent leurs premières salves. Avant la nuit, la place est totalement investie. Les premiers soldats se déroulent, le 25 décembre, au faubourg de France plusieurs fois pris et repris. Plusieurs demeures de ce faubourg ont été atteintes par des projectiles tirés depuis le château, notamment le relais de poste tenu par la famille Dauphin au-delà du pont de pierre. Un boulet restera encastré dans sa muraille et sera objet de curiosité durant des décennies. Le lendemain 26 décembre, le commandant Legrand prend un certain nombre de mesures afin d’empêcher l’ennemi d’approcher trop près : il fait abattre les palissades et les murets des jardins afin de ne pas gêner les manœuvres de cavalerie. Il fait brûler, aux abords de la place, plusieurs maisons et les maisonnettes de jardins où l’ennemi pourrait se dissimuler. La situation s’aggrave, aussi François Joseph Triponé prend-il quelques précautions supplémentaires :« 26 décembre – (…) Dans la crainte d’un prochain bombardement, nombre de familles ont déposé leurs meubles et se sont réfugiées dans le magasin à poudre des tours bastionnées (rez-de-chaussée actuel des tours 26, 41 et 47). J’ai mis mes meilleurs effets dans celle de la manutention. J’ai eu dix soldats logés dans mon bureau. 27 décembre – J’ai retiré mes effets du magasin à poudre et les ai fait descendre dans une cave voûtée. Ma femme est accouchée à 7 heures du soir d’un enfant mâle. 28 décembre – Le château n’a pas tiré. Une partie de la garnison a été occupée à transporter au château des subsistances prises en réquisition chez les habitants et surtout chez les négociants. A 10 heures du soir l’alarme a été donnée et toutes les troupes ont pris les armes. On croyait que l’ennemi préparait l’escalade du rempart près de la glacière. La lumière des pots à feu jetés du château dans le fossé, a fait voir que personne ne s’était approché. 29 décembre – Rien d’extraordinaire pendant la matinée. A midi un détachement est allé recueillir du grain, chez Henri Piquart, au faubourg de France. On continue à monter au château toutes sortes d’approvisionnements. J’ai fait murer la porte de ma cave voûtée pour préserver mes effets et minutes (notariales). J’ai fait enfouir l’argent. » La protection de ses biens et de ses dossiers est pour François Joseph Triponé une préoccupation constante de même que les dégâts causés par les bombes et boulets qui s’abattent sur la ville. Enfouir l’argent en cas de guerre, c’est une habitude pratiquement aussi veille que les premières monnaies, c’est pourquoi, de temps à autres des « trésors » sont fortuitement retrouvés ; dans le Territoire de Belfort, plusieurs ont été ainsi redécouverts.

Un boulet a traversé chez moi

Pour les civils, le pire souvenir de ce siège 1813-1814, ce sont les bombardements, plus encore que le froid intense ou que la raréfaction des vivres. Beaucoup en voudront au commandant Legrand d’avoir entrepris de résister face à un assiégeant largement supérieur en nombre et dont les troupes, autour de la ville, sont sans cesse renouvelées. Le commandant Legrand, vieux militaire d’expérience, mais sans véritable génie stratégique, applique strictement les règlements en usage pour ce type de situation. Il se bat pour son pays, pour l’honneur, pour son Empereur et il persiste envers et contre tout dans sa décision de défendre la place jusqu’au bout. Pour lui, en temps de guerre, la décision est aux militaires. « 31 décembre – Vers 3 heures du matin, l’ennemi a recommencé son feu d’obusiers et de canon ; il a été terrible et le château n’a pas riposté. Un boulet a traversé chez moi un corps de cheminée au-dessus du toit. Un obus a éclaté dans le magasin de M. Ugonin, contigu à ma maison. L’hôtel de ville et plusieurs autres bâtiments ont été atteints. La maison du juif Rueff a beaucoup de dommages. Les chefs militaires prétendent tenir pendant deux mois. Aucun bourgeois n’a de vivres pour aussi longtemps. La disette se fait déjà sentir. Le temps est serein, sec et froid depuis le commencement du siège (…) 1er janvier 1814 – Depuis hier, à 9 heures du soir, une grêle d’obus, de boulets et même quelques petits bombes ont foudroyé toutes les parties de la ville ; nombre de maisons sont fracassés dans l’intérieur, beaucoup d’autres à leurs couvertures. Celle où je demeure a été légèrement endommagée au bord du toit, vers l’angle méridional. A 11 heures du soir, l’explosion d’une bombe de 60 pesant, tombée dans la rue à deux pouces du seuil de la boutique occupée dans ma maison par M. Rameau, a fracassé vingt grands carreaux, beaucoup de petits et une quantité plus grande encore dans mon ancienne maison. Le cousin Priqueler a reçu deux obus dans la maison Bévalot. L’affluence dans la casemate témoigne assez la crainte des habitants pour la nuit prochaine. »

Il est de fait que, suite au bombardement intense auquel la ville est soumise – il tombera plus de 1000 projectiles en deux heures le 30 décembre – les dégâts causés aux demeures sont considérables. Mais plus encore, ce sont les pertes humaines qui inquiètent : plus de 252 civils décèdent entre le 1er janvier et le 24 juin 1814. Les pertes militaires sont encore plus élevées : 800 morts, en raison, non seulement des combats, mais aussi de la maladie et de la malnutrition. Le premier et le plus long des trois sièges du XIXe siècle a été terrible et il est resté, pour cette raison, longtemps dans les mémoires.

Les Belfortains n’en veulent pas à l’ennemi

Parmi les civils, nul ne sait de quoi le lendemain sera fait. Le commandant Legrand ne leur transmet aucune information, aussi, dans les moments de calme, essaient-ils de voir ce qui se passe à l’extérieur. Les bruits les plus contradictoires circulent ; ils traduisent la peur viscérale qui ronge même les plus endurcis : « 2 janvier – Le château a beaucoup tiré pendant la nuit. Le feu de l’ennemi a été vif et principalement dirigé sur le fort. Vers midi, on a remarqué beaucoup de mouvement chez les assiégeants ; on a vu passer de Bavilliers à Danjoutin et du Valdoie dans la forêt de l’Arsot de la cavalerie et des caissons. 3 janvier – L’ennemi n’a pas tiré un seul coup pendant la nuit. Son silence et le mouvement de la ville faisaient présumer qu’il s’était éloigné, mais au jour on a reconnu ses sentinelles placées comme les jours précédents. A 8 heures, le château a tiré quelques coups de canon et lancé quatre à cinq bombes dans la plaine de Brasse. Nous craignons d’être forcés d’évacuer la casemate qui nous sert d’asile ; on parle d’y déposer les militaires malades et blessés. On fait la perquisition et l’inventaire de bois de chauffage chez les particuliers. Les habitants craignent l’enlèvement de leurs provisions. Les mesures prises pour placer les malades et les blessés dissipent notre crainte d’être obligés de sortir du magasin à poudre. » Le journal de François Joseph Triponé se poursuit ainsi, jour après jour, jusqu’au 9 avril, lorsque sont tirés les derniers coups de canon depuis le château. L’arrêt des combats n’est officiel que le 12 avril. Le commandant Legrand et ses hommes valides quittent Belfort, avec les honneurs de la guerre, le 16 avril au matin. Ce qui surprend le plus, dans les nouvelles rapportées par le notaire Triponé, c’est que, à l’issue du siège, malgré les souffrances endurées, les Belfortains n’en veulent pas à l’ennemi, ils n’ont aucune haine à son égard. Le 10 avril, par exemple, jours de Pâques, « beaucoup d’habitants, note-t-il, on communiqué librement avec les avant-postes ennemis, par le temps superbe qui a marqué cette journée. » C’est un peu comme si ce conflit ne les concernait pas, comme s’ils étaient neutres entre les deux armées. Quant au commandant Legrand, après une période difficile, il est nommé, sur proposition du comte de Castéja préfet du Haut-Rhin, maire de Belfort le 17 décembre 1817 et le reste jusqu’à sa mort en 1824.

Le commandant Legrand, qui est chargé de la défense de la ville en 1813 et 1814, figure parmi les héros belfortains immortalisés au monument des Trois sièges.

Edouard Cousin

Le siège de 1814, vu par le « Messager boîteux ».

DR André Larger


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